Sulina was first officially mentioned in 950 A.D. It is the easternmost town of Romania and of the EU (29°39’10” long. E), the town situated at the lowest altitude (4 m) in the country, with the most sunshine and the lowest precipitation amount per year (132,7 mm in 1920). Sulina is one of the first places where the concept of a modern united Europe came into question, since it used to be the headquarters of the Danube European Commission (1856-1939, with 7 consulates and 22 religious communities). I published this essay in 2010 and its translation into French was done by Claude Aubé.
Sulina: mon amour, mein liebe, my love, dragostea mea…
Le sujet n’est pas fortuit: Sulina, notre petite tour de Babel, a un passé européen et un destin emblématique pour l’histoire nationale et pour la destinée de l’architecture dans notre pays. J’ai décidé de vous parler de Sulina non seulement parce que personne ne parle plus de ce lieu que lorsque se produit quelque chose hors du commun du genre „un curé a mordu un chien”, que parce que c’est un lieu fascinant, une ville exemplaire pour comment naissent, vivent et meurent l’architecture, l’urbanisme, l’histoire. Le titre n’est pas fortuit : Sulina a été entre 1856-1939 la ville de la Commission Européenne du Danube (organisme international créé à Galati grâce au Taité de Paix qui a suivi la guerre de Crimée, qui a décidé de la neutralité de la Mer Noire, la rétrocession à la Moldavie de trois judets du sud de la Bessarabie et la libre circulation sur le Danube, sous la surveillance d’une commission internationale), première ville de Roumanie liée de ce qu’on peut appeler le concept européen et un lieu aussi significatif décrit dans l’Europolis de Jean Bart comme la scène de vie en balance entre le XIXème et le XXème siècle.
Personnifiant Sulina d’après son nom de fille Selina ou Solina, portant le nom de la tête d’une harde de cosaques, elle a été une enfant pauvre du Delta. Elle a grandi libre, aisément, profondément lié à la nature et à son monde (tant qu’elle a été un village de pêcheurs et une terre stable à l’entrée du Danube dans la mer) et a eutla chance de se trouver au bon moment au bon endroit pour recevoir l’éducation, pour acquérir la fortune et l’usage du monde (en français dans le texte), devenant une véritable dame de succès et de confiance (comme elle fut entre 1856 et 1939 la ville de la Commission Européenne du Danube). Le temps a passé et la jeunesse de même. La guerre a changé son destin, la société a changé (le communisme est apparu avec les tanks venus de l’est, jadis avec les vents rudes des hivers du Delta), d’autres jeunes villes ont commencé à s’affirmer et à se trouver au bon endroit au bon moment (les villes industrielles de „l’homme nouveau”, les villes-dortoir), et Sulina est devenue une vieille dame avec des valeurs ne correspondant plus à l’époque. Est venu aussi le jour où l’on a décidé qu’on devait rééduquer (par la destruction ou par l’abandon de l’architecture), l’altération des structures sociales, des positions européennes, de son avenir) pour adopter un nouveau style de vie (immeubles, industrie navale ou liée à la pêche). Au fur et à mesure sur Dame Sulina ont passé les années et on a commencé à voir la souffrance et les cicatrices et les rides et les signes sur le corps mais l’âme est restée jeune et vivante et une lueur d’espoir a surgi dans les yeux et l’âme vers le crépuscule de sa vie lors des changements d’une société (Révolution de décembre 1989) qui donnait la chance et l’espérance de se réhabiliter. Le changement des temps n’a pas signifié la personnification de ses espérances et des nouvelles déceptions ont commencé à l’assombrir (apparition de nouveaux blocs, destruction des identités architecturales et urbanistiques par le remplacement des architectures caractéristiques par d’autres étrangères, l’absence de promotion, le manque d’une vision globale de développement durable, la pollution des voisinages). Le passé a ainsi laissé cette bonne Dame encore riche (potentiel touristique, terrains et maisons bon marché pour les malins profitant de la naïveté des habitants, interface pour les activités de pêche et de chasse dans le Delta) extrêmement vulnérable et faible avec les souffrances accumulées au cours du temps ainsi que les vautours, les malins qui se sont agglutinés pour profiter (sociétés immobilières, hommes d’affaires, politiciens) et qui ont commencé à la harceler pour voler un morceau de son bien (terrains, immeubles, position, statut). Sulina est aujourd’hui une Dame pauvre, roumaine dans le sang et européenne dans l’âme qui raconte sa vie et ses souvenirs et la gloire de sa jeunesse avec les longs jours d’été, brûlés de soleil et les interminables nuits d’hiver eux aussi brûlés mais du vent d’est glacial, regardant le monde à travers des vieilles lunettes bulgares, dans un fauteuil français, avec un châle, assise sur un tabouret hongrois, posé sur un tapis rose italien, dans une vieille chambre au mobilier monténégrin, d’une maison lipovene perdue parmi les fleurs et le ricin, buvant un café turc adouci d’un cube de sucre autrichien et une goutte de lait russe, dans une tasse de porcelaine grecque, avec une petite cuillère en argent arménienne, sur une soucoupe serbe, posé sur une table de bois peint allemande avec un napperon polonais blanc apprêté, à côté d’une carte postale albanaise, un bougeoir hébreu et un gobelet tatar en émail.
A Sulina, ils se sentent isolés et au bout su monde. En un sens c’est vrai : Sulina a l’altitude la plus basse de Roumanie (4 m au dessus du niveau de la mer), c’est le point le plus à l’Est du pays, elle est reliée au reste du monde seulement par l’eau ou par l’air, est soumise en théorie à un régime spécial de protection de la nature (avec la création de l’Administration de la Réserve de Biosphère du Delta du Danube, en 1993). A Sulina, viennent la majorité des visiteurs un peu par hasard, pour la plage et la mer, en camping, pour pêcher et pour le côté relativement sauvage et isolé du lieu. La majorité ne respecte ni la plage, ni la mer, ni la ville et son histoire, ni la nature du Delta, ce qui se voit aux tonnes de bouteilles de plastique, papiers, boîtes de conserve, poubelles jetées à chaque pas, en ville et dans la mer, dans les étangs et les canaux, d’une année à l’autre en plus grand nombre. De même, ni la majorité des habitants ne le respecte. D’une année à l’autre, l’eau est plus sale et on ne doit pas s’en étonner puisque ici arrivent pratiquement toutes les saletés de l’Europe apportées par l’eau. Et les poissons sont de plus en plus petits et aux rythmes de la vie mis sur le dos. Le Delta est une réserve naturelle, malheureusement un peut trop tard, autant pour elle que pour Sulina. Peu d’habitants voient plus loin que la barque, les filets, leurs lieux de pêche, le braconnage quotidien, les pêcheries et la promenade des touristes pour pêcher. Peu d’habitants connaissent, comprennent, apprécient l’atmosphère, l’histoire ou l’architecture de la ville, peu en voient la poésie jugeant comme sont laissés la ville, l’atmosphère, l’histoire et l’architecture mourir d’inanition. La ville n’est plus nourrie d’un souffle communautaire vivant baigné de l’estime du passé que d’une somme d’intérêts, de petites ou des grandes affaires et/ou des escroqueries. Peu de visiteurs viennent pour l’atmosphère, l’histoire ou l’architecture. Peu sont des chasseurs de l’âme de la ville. Ils font des photos des vieilles maisons ou des villas kitch, cherchant à garder quelque chose de l’authenticité du lieu, mais beaucoup d’habitants les accusent qu’ils photographient „pour leur prendre leurs maisons”. Ils cherchent à s’imprégner de l’esprit du lieu mais les locaux, jugeant d’après leur propre pauvreté, croient à quelque perte de temps curieuse. Et c’est justement l’âme de la ville qui est oubliée, et maintenant dans ce sens aussi, Sulina est moribonde. Je pense à cette démarche comme à un signal d’alarme. Afin que, à Sulina, meurre l’architecture, meure le sentiment du lieu, meure le sentiment d’appartenance à une communauté, meure avant même de se développer le développement durable, meure la nature… juste à la porte d’entrée en Roumanie et dans l’Union Européenne sur la Mer Noire.
Malgré ça, pourquoi Sulina est-elle aussi intéressante ?
Sulina c’est l’Europolis de l’écrivain Jean Bart (pseudonyme littéraire de l’officier de marine Eugeniu Botez, 1847-1933, d’après le célèbre corsaire français), roman d’un amour double, d’une ville et d’une femme, oeuvre qui, au delà de l’histoire de „l’américain” Nicolas Marulis, de l’officier Neagu et de la sirène noire Evantia, est emblématique de la cohabitation des lipovenes, roumains, grecs, polonais, arméniens, turcs, tatars, italiens, anglais, russes, austro-hongrois, albanais, juifs, bulgares, allemands, serbes, monténégrins, ainsi que pour la coexistence pacifique de l’orthodoxie, du catholicisme ou du protestantisme avec le judaïsme et l’islam. Sulina a un tissu urbain très intéressant et unique en son genre : elle s’inscrit symboliquement en un quadrilatère avec un grand côté de 5,5 km et un petit côté 10 fois moindre, 500 m dont les 6 rues, parallèles au Danube, sont numérotées comme à New York, de I à IV. Sulina, une ville aussi petite et isolée, est intéressante pour sa collection d’objets d’architecture, témoignage vivant de l’histoire des deux derniers siècles. Sulina possède 5 églises, la plupart d’ente-elles consacrées à Saint Nicolas, protecteur des marins : l’église orthodoxe Saint Nicolas (connue comme la Cathédrale, parce que, ici, se rassemblaient pour les prières et le recueillement plusieurs ethnies a été construite en 1866, à côté d’une vieille église de bois démolie par la suite et gardée en mémoire par la construction d’une croix votive placée sur le maître autel), l’église grecque Saint Nicolas (érigée en 1868, ayant une authentique atmosphère spéciale et vivant oubliée, mourrant chaque jour peu à peu du manque de préoccupation pour la restauration et les projets), l’église orthodoxe de rite ancien Saints Pierre et Paul (église des russo-lipovenes construite entre 1991 et 1995 à côté d’une vieille église de laquelle reste le Sainte Table), l’église Romano-catholique Saint Nicolas (construite avec l’effort financier de la communauté italienne de Sulina et sanctifiée en 1863, avec une présence discrète dans le paysage urbain, avec une architecture sobre et un aspect particulier du clocher) et l’église Saint Alexandre et Saint Nicolas (l’actuelle cathédrale de la ville et du Delta, dont la première pierre a été posée en 1910, en présence du roi Carol Ier et de la famille royale et due aux efforts du prêtre V. Gheorghiu, un extraordinaire et valeureux exemple d’architecture digne de n’importe quelle grande ville européenne et emblématique de l’architecture autochtone). Sulina a 4 phares: le vieux phare construit en 1869 au temps de la Commission du Danube (placé à l’endroit où, au moment de sa construction, se jetait le Danube dans la mer, aujourd’hui transformé en musée, il est en pleine ville, à une grande distance de l’embouchure actuelle du fleuve), le phare observateur (lui aussi construit au temps de la CED, à présent abandonné et ayant une présence fantomatique dans le paysage du Delta, qu’on voit dans le film „Toate pânzele sus” („Toutes voiles dehors”) est lié à Sulina par une longue et poétique digue de pierre où se lisent les inscriptions de ceux qui ont participé aux travaux de construction), le vieux phare en rouine, et le nouveau phare, le plus est de l’Europe et de Roumanie (la construction impressionnante des années 1970 domine la mer à 57 m de hauteur et lumière visible à plus de 50 km). Sulina a un château d’eau, chose qui à première vue, peut paraître sans importance mais qui est peu habituel. Inhabituels sont, et son architecture, typiquement hollandaise, et son histoire : ce château d’eau ainsi que le réseau de ditribution, sont un cadeau pour Sulina de la Reine des Pays Bas qui, s’arrêtant à Sulina et demandant un verre d’eau, se vit offrir un verre de l’eau du Danube, constatant alors avec stupéfaction qu’un port de cette importance et avec une telle activité, n’avait pas de reseau d’eau potable filtrée. Sulina a une architecture extrêmement sensible de maisons simples, qu’elles soient lipovenes (de torchis, blanchies à la chaux, recouvertes de roseaux et décorées d’ornements de bois chantournés) ou des répliques de l’architecture d’époque importées d’orient ou d’occident d’égale manière. Sulina a un cimetière marin, lieu pittoresque, coloré et émouvant, symbolique du repos éternel pour les chrétiens, juifs ou islamistes, du simple porteur, pêcheur, marin ou ouvrier du port à l’ingénieur, officier, capitaine de navire, consul, figure marquante de l’essor de la ville (comme William Simpson, qui fut 13 années le directeur de la construction de la CED), franc-maçon ou chevalier de l’Ordre de Malte, nièce de dignitaire (comme la Princesse Moruzi, etc.). Et par dessus tout cela, Sulina possède un littoral extrêmement spécial, vaste, donnant une sensation de fin du monde, au sable fin et à l’eau de mer flirtant avec l’eau douce du Danube, et étant le terminus à la mer, elle est en même temps le lieu où commencent et se concluent les circuits et les tracés touristiques vers les lieux fascinants du Delta du Danube (tels le Lacu Roşu, Roşuleț, Porcu, Răducu, Lumina et Puiu, la forêt de Caraorman, la forêt de Letea, Gârla Împuțită). Je suis Ardelean mais Sulina est aussi à moi parce que je suis roumain et architecte et pêcheur et photographe et peintre et passionné de l’âme de cette ville. Voyageant dans le temps et dans l’espace … là-bas où le vieux Danube perd son eau et son nom dans la mer… (comme disait avec une nostalgie triste Jean Bart dans Europolis), j’ai eu la sensation physique d’aller vers le bout du monde pour découvrir, paradoxalement et de façon métaphorique que je suis arrivé en son centre. Cette sensation a été rapidement secondée par une autre, bien plus triste: que ma quête est dans un lieu qui meurt un peu plus chaque jour, dont l’âme, jour après jour, un peu plus se détache du corps… Je vous ai parlé plus haut des jolies choses… c’est aussi une autre face de la ville, en position de victime : la visite heureuse à priori de Sulina est ternie par la réalité récente bousculant l’histoire et le sentiment du lieu, altérée par l’agressivité d’une architecture récente majoritairement kitch, hurlante, de mauvaise qualité, salie de la dilution dans la nature du Delta de l’architecture ancienne abandonnée, ternie par la sensation de pauvreté et la résignation des habitants.
Sulina en bref, c’est triste, n’est-ce pas ?, et tellement ressemblant à la Roumanie en grand. Les Seigneurs et les Dames s’en vont comme Sulina. Qu’est-ce qu’on fait de la parabole de Sulina? Qu’est-ce qu’on fait de la Roumanie? On la laisse se mourir peu à peu chaque jour, avec toutes ses valeurs?